L’accrochage du portrait du nouveau président de la République est une tradition ancrée dans l’histoire de notre nation, mais qui soulève aujourd’hui de nombreux questionnements. Est-ce vraiment obligatoire ? Quel est le sens de cette pratique ? Doit-on la remettre en question à l’ère du XXIe siècle ? Autant d’interrogations qui ont nourri mes réflexions pendant ces derniers mois, et auxquelles je vais tenter d’apporter des réponses étayées dans cet article.
Pour comprendre les enjeux actuels autour de l’accrochage des portraits présidentiels dans les mairies, il est important de revenir sur les origines de cette tradition. Bien que considérée comme une pratique « républicaine », ses débuts remontent à une période bien antérieure à l’instauration de la République en France.
C’est sous le règne de Louis XIV, le « Roi Soleil », que les premiers portraits officiels de monarques ont commencé à orner les murs des bâtiments publics, y compris les mairies. À cette époque, il s’agissait d’un moyen de renforcer le pouvoir absolu du roi et d’affirmer son autorité sur l’ensemble du territoire. L’omniprésence de son image visait à rappeler aux sujets leur devoir d’obéissance envers le souverain.
Après la Révolution française et l’avènement de la République, cette tradition a été maintenue, mais dans un esprit différent. Le portrait présidentiel devait alors symboliser l’unité de la Nation et la souveraineté du peuple, incarnée par le chef de l’État élu. Adolphe Thiers, premier président de la IIIe République, a été le premier à se plier à l’exercice de la photographie officielle en 1871.
Depuis, chaque président s’est succédé sur les murs des mairies, à l’exception notable du régime de Vichy durant la Seconde Guerre mondiale. En 1940, le gouvernement de Pétain a en effet rendu obligatoire l’affichage du portrait du « chef de l’État français », une mesure qui sera abrogée à la Libération.
Aujourd’hui, de nombreux Français pensent que l’accrochage du portrait présidentiel dans les mairies est une obligation légale. Pourtant, aucun texte de loi ou règlement ne l’impose formellement. Comme l’a rappelé le ministère de l’Intérieur en 2010, « aucun texte de nature législative ou réglementaire ne prescrit l’utilisation des symboles républicains, que sont le drapeau national, le buste de Marianne, le portrait du président de la République ou la devise de la République, dans les bâtiments publics ».
Il s’agit donc d’une simple tradition, une « coutume inscrite dans la tradition républicaine », selon les termes employés par le gouvernement. Chaque maire et conseil municipal sont libres de décider d’accrocher ou non le portrait du chef de l’État dans leur mairie.
Cependant, cette liberté de choix n’a pas empêché certains élus d’être poursuivis en justice pour avoir décroché les portraits présidentiels de leurs murs municipaux. C’est le cas des « décrocheurs », ces militants écologistes qui, en 2019, ont retiré les effigies d’Emmanuel Macron de plus d’une centaine de mairies pour dénoncer son « inaction climatique et sociale ». Bien que la Cour de cassation ait estimé que ces actes pouvaient relever de la liberté d’expression, les prévenus ont été condamnés pour « vol en réunion ».
Au-delà de l’aspect légal, l’accrochage du portrait présidentiel dans les mairies soulève des questions plus profondes sur le rôle et la symbolique de cette tradition. Ses défenseurs y voient un moyen d’incarner l’unité de la Nation et le respect du suffrage universel, quel que soit le bord politique du maire ou des administrés.
Arguments en faveur | Arguments contre |
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Cependant, pour d’autres, cette pratique représente au contraire une personnalisation excessive du pouvoir, voire un « culte de la personnalité » incompatible avec les valeurs démocratiques. Loin d’unir, elle risquerait de diviser davantage les Français, en particulier lorsque le président en exercice est impopulaire ou contesté par une partie de la population.
Ce débat prend une tournure particulière dans le contexte social tendu que traverse actuellement la France, marqué par la crise des Gilets jaunes, la réforme controversée des retraites, et une défiance grandissante envers les institutions. Pour certains élus locaux, l’obligation d’accrocher le portrait présidentiel apparaît alors comme une imposture déconnectée des préoccupations quotidiennes des citoyens.
« Dans le contexte actuel, on se demande si ce n’est pas une forme de diversion. J’aimerais qu’on parle plus des personnes qui sont dans la mairie : les élus, les agents… Je pense à la question des agressions, au pouvoir d’achat… Il y a un réel décalage avec ce que nous vivons. » – Jacques Oberti, président de l’Association des maires de France en Haute-Garonne
Face à ces interrogations, faut-il envisager une remise en question de cette tradition séculaire ? Certains plaident pour son abandon pur et simple, tandis que d’autres proposent des aménagements permettant de la moderniser et de l’adapter aux réalités du XXIe siècle.
Parmi les pistes envisagées, on peut citer :
Quelle que soit l’option retenue, il semble essentiel d’impliquer les élus locaux et les citoyens dans la réflexion. Après tout, la mairie est avant tout leur « maison commune », comme aiment à le rappeler les maires. C’est donc à eux de décider de la forme que doit prendre cette tradition, ou s’il convient de la faire évoluer pour mieux coller aux valeurs et aux attentes de notre époque.
Au terme de cette analyse approfondie, il apparaît clairement que l’accrochage du portrait présidentiel dans les mairies n’est pas une obligation légale, mais bien une tradition ancrée dans l’histoire de notre nation. Une tradition qui, malgré ses origines controversées liées à la monarchie absolue, a longtemps symbolisé l’unité républicaine et le respect du suffrage universel.
Cependant, dans le contexte actuel de défiance envers les institutions et de remise en cause de la verticalité du pouvoir, cette pratique soulève de nombreuses interrogations. Loin d’unir, ne risque-t-elle pas de diviser davantage les Français ? Ne traduit-elle pas une personnalisation excessive du pouvoir, incompatible avec les valeurs démocratiques ?
Face à ces questionnements légitimes, il ne s’agit pas nécessairement d’abandonner purement et simplement cette tradition séculaire, mais plutôt de la réinventer pour l’adapter aux réalités du XXIe siècle. En impliquant les élus locaux et les citoyens dans la réflexion, nul doute que des solutions innovantes et respectueuses de notre héritage républicain pourront émerger.
Car, comme l’a si bien dit l’écrivain et philosophe français Albert Camus : « Mal partager, c’est tout donner à l’un et tout refuser à l’autre. Bien partager, c’est donner autant que l’on peut à chacun. » N’est-ce pas là la clé pour concilier tradition et modernité, unité nationale et diversité des sensibilités locales ? À nous d’être créatifs et ouverts d’esprit pour réinventer cette pratique, afin qu’elle puisse continuer à rassembler les Français autour de valeurs communes, plutôt que de les diviser.