Depuis l’enfance, on nous bassine avec l’image effroyable des sables mouvants avalant des malheureuses victimes, les aspirant sans rémission vers les profondeurs de la terre. Cette vision cauchemaresque hante notre imaginaire collectif, nourri par les récits fantastiques et les films d’aventures. Qui n’a pas frissonné devant la scène d’Indiana Jones s’enfonçant inexorablement dans cette matière traîtresse ? Ou en regardant Pierre Richard couiner de terreur face au même sort dans La Chèvre ? Pourtant, une fois adulte, il est légitime de se demander : peut-on vraiment disparaître corps et âme dans les sables mouvants ? La réponse pourrait bien vous surprendre…
Démystifier les sables mouvants
Avant d’aller plus loin, commençons par quelques éclaircissements sur la nature de ce phénomène qui alimente tant de fantasmes. Les sables mouvants, que l’on trouve principalement dans les zones côtières et les estuaires, sont un mélange d’eau, de sable fin, d’argile et de sel. C’est cette composition très particulière qui leur confère leurs propriétés si singulières et trompeuses.
Plus précisément, l’argile joue un rôle clé dans la structure des sables mouvants. Par sa viscosité naturelle, elle permet aux grains de sable d’adhérer les uns aux autres, formant une sorte de château de cartes si fragile qu’un simple mouvement suffit à l’effondrer. C’est à ce moment que tout bascule : l’argile se liquéfie, libérant les grains qui s’enfoncent tandis que l’eau remonte à la surface. Et voilà comment, en quelques secondes, un sol en apparence stable se transforme en piège visqueux et mouvant.
S’enfoncer… mais pas disparaître
Jusqu’ici, rien que de très naturel et d’assez inoffensif, me direz-vous. C’est là que j’entre dans le vif du sujet : même enlisé jusqu’à la taille dans ces sables traîtres, vous ne pourrez en aucun cas disparaître complètement, englouti dans les entrailles de la Terre. Et pour cause : la poussée d’Archimède.
Souvenez-vous de vos cours de sciences, au collège. Ce principe physique, découvert par le savant grec du même nom, stipule qu’un corps plongé dans un fluide (liquide ou gaz) subit une force verticale, orientée de bas en haut, qui s’oppose à son poids. En clair, lorsque vous entrez dans une piscine, cette poussée vous « allège » et vous permet de flotter, du moins en partie. Et c’est exactement le même phénomène qui entre en jeu avec les sables mouvants !
La clé réside dans les densités respectives du corps humain (environ 1) et du sable mouvant, nettement supérieure (autour de 1,85). Dès que votre poids commence à vous faire couler, cette fameuse poussée d’Archimède prend le relais et vous « remonte » à la surface. Aussi atterrante que puisse être la situation, votre tête et le haut de votre buste resteront donc toujours émergés. Pas de quoi paniquer, dans l’immédiat !
Le véritable danger des sables mouvants
Tout n’est cependant pas rose pour autant. Car si les sables mouvants ne peuvent vous faire disparaître totalement, ils peuvent en revanche vous coincer comme un étau. Rappelez-vous : au fur et à mesure que les grains de sable s’enfoncent, l’argile se regroupe et se solidifie à nouveau autour de ce qui est immergé. En l’occurrence, vos jambes et le bas de votre corps.
Il devient alors quasi impossible de se dégager par ses propres moyens. Comme l’explique Daniel Bonn, physicien de l’École Normale Supérieure de Paris et grand spécialiste des sables mouvants, « la force nécessaire pour soulever un pied emprisonné par l’argile est comparable à celle requise pour soulever une voiture ». Autant dire qu’il est plus que recommandé d’avoir de l’aide sous la main…
Sans assistance, le risque est de rester piégé à la merci des éléments. Et c’est là que réside le véritable danger. Dans les zones côtières où sévissent les sables mouvants, il faut se méfier de la marée montante. Car même si vous gardezla tête hors de l’eau, une noyade n’est jamais à exclure si les flots viennent à vous recouvrir.
De même, l’épuisement et la déshydratation guettent les imprudents restés trop longtemps englués sous un soleil de plomb. À plus long terme, l’hypothermie peut également être fatale dans des conditions météo défavorables. Bref, un triste sort que je ne souhaite à personne…
Comment survivre aux sables mouvants ?
À ce stade, vous devez avoir saisi l’essentiel : les sables mouvants sont des formes de milieux naturels redoutables, qui méritent le plus grand respect. Heureusement, quelques réflexes bien appliqués permettent d’en réchapper et de ne pas céder à la panique.
La première règle d’or est de toujours surveiller son environnement et ne jamais s’aventurer seul dans les zones à risque. Les sables mouvants se forment en des lieux bien spécifiques : autour des estuaires, dans les baies, près des marais salants… Renseignez-vous à l’avance et n’hésitez pas à faire appel à des guides locaux quand c’est possible. Mieux vaut prévenir que guérir !
Mais si, malgré toutes les précautions, vous avez la malchance de vous enliser, voici ce qu’il convient de faire :
- Ne paniquez pas et évitez tous mouvements brusques. Plus vous vous débattrez, plus vite vous vous enfoncerez. Gardez votre calme, inspirez profondément et concentrez-vous sur les étapes suivantes.
- Orientez-vous. Repérez les potentiels dangers alentour : marée montante, soleil brûlant, absence d’aide à proximité, etc. Cela vous aidera à prendre les bonnes décisions.
- Appelez à l’aide, si possible avec un talkie-walkie ou en envoyant des signaux visuels. Vos chances de survie seront bien meilleures si des secours peuvent venir.
- Essayez de vous extraire lentement, en douceur. Procédez par petits mouvements circulaires avec les jambes pour fluidifier les sables autour de vous. Avancez délicatement, sansà-coups violents.
- Dans le pire des cas, mettez-vous à l’horizontale. Cette position permettra de répartir votre poids sur une plus grande surface, ralentissant considérablement l’enlisement. Vous gagnerez ainsi un temps précieux dans l’attente des secours.
Pour résumer, les sables mouvants constituent un danger bien réel, mais qui reste gérable si l’on adopte les bons réflexes. En aucun cas ils ne pourront vous faire disparaître mystérieusement comme par magie. Mieux vaut tout de même s’en méfier par précaution !
Les sables mouvants dans la culture populaire
Maintenant que j’ai dissipé ce mythe tenace autour des sables mouvants, il serait dommage de ne pas évoquer le rôle qu’ils ont joué dans la culture populaire, au cinéma et dans la littérature. Car ces pièges naturels ont fait depuis longtemps les choux gras des récits les plus terrifiants, exploitant à merveille nos peurs les plus enfouies.
Qui ne se souvient pas de la célèbre nouvelle d’Arthur Conan Doyle, « Le Monde Perdu » ? En 1912, l’auteur des aventures de Sherlock Holmes nous entraîne au cœur d’une contrée perdue, peuplée de créatures préhistoriques insoupçonnées. Mais bien avant de croiser la route des terribles Ptérodactyles, les héros doivent déjà affronter les « ignobles marécages mouvants », comme les surnomme le professeur Challenger.
Une vingtaine d’années plus tard, c’est au tour de l’explosif romancier Erskine Childers de s’emparer du mythe dans son roman d’aventures « La Rideau de Bambou ». On y suit Ian Ferguson, officier britannique, poursuivi par des chasseurs chinois à travers les redoutables marécages du Sud de la Chine. Englué jusqu’aux genoux, il ne doit son salut qu’à l’intervention providentielle de son ami Alan.
Mais c’est incontestablement au 7ème art que l’on doit les scènes cultes les plus marquantes mettant en scène les sables mouvants. De La Chèvre de Francis Veber au « Navire Noir » des aventures de Tintin, en passant par les terrifiants « Marais des Cadavres » traversés par Luke Skywalker dans La Revanche des Sith, aucune occasion n’est manquée d’exploiter notre fascination morbide pour ces pièges naturels.
Le clou du spectacle revient pourtant à Steven Spielberg dans les Aventuriers de l’Arche Perdue. Souvenez-vous : après une course-poursuite haletante contre une grosse boule de pierre, Indiana Jones s’extirpe in extremis d’un bassin de sables mouvants, dans lequel sont déjà en train de s’enfoncer deux de ses poursuivants. Le tout sublimé par la fameuse réplique : « Mieux vaut affronter le sable que la fureur, Dr Jones ! ». De la pure anthologie !
Les « faux » sables mouvants
Avant de conclure, il me semble pertinent d’évoquer brièvement un autre type de milieu naturel, parfois confondu avec les sables mouvants à tort. Je veux parler des « sables secs », comme on les appelle.
À la différence des sables mouvants composés d’un mélange visqueux fait d’eau, d’argile et de sel, les sables secs ne contiennent aucun liquide. Ils se caractérisent par une structure extrêmement « aérée » et instable, due à un empilement particulier des grains. Le moindre choc ou mouvement suffit alors à rompre cette structure fragile, provoquant un effondrement soudain.
Si ce phénomène reste relativement rare et très localisé, il a été à l’origine de certaines des pires catastrophes liées au sable, comme l’ensevelissement du village de Roquebillière, dans les Alpes-Maritimes, en 1926. Aussi impressionnant qu’un éboulement, l’effondrement des sables secs n’a cependant rien à voir avec les sables mouvants à proprement parler. Il ne faut pas confondre les deux !
Le mot de la fin
Au terme de ce très long exposé, j’espère avoir réussi à dissiper le mythe tenace des sables mouvants prétendument capables d’engloutir l’imprudent voyageur tombé dans leurs pièges. Certes, ils représentent un danger indéniable et méritent toute notre prudence. Mais en aucun cas ils ne pourront mener à votre perte totale si d’aventure vous avez le malheur d’y tomber.
Alors la prochaine fois que vous vous laisserez porter par l’action haletante d’Indiana Jones ou d’un autre hérosringard, souvenez-vous de ces quelques vérités : nul ne peut être aspiré à jamais dans les entrailles de ces sables visqueux, aussi effrayants puissent-ils paraître. Au pire, vous resterez enlisé, telle une mouche dans de la glu tenace, avec la possibilité de vous en extraire tant que vous garderez votre calme.
Sur ce, je vous laisse méditer ces quelques révélations. Chacun sa perception des sables mouvants, après tout ! Mais pour ma part, il s’agit simplement d’un piège naturel comme un autre, ni plus ni moins dangereux que bien d’autres merveilles que recèle notre Terre, à condition de les aborder avec la prudence qui s’impose.