Le serment d’Hippocrate, cette déclaration solennelle prononcée par chaque nouveau praticien, est un héritage précieux qui guide nos pas et nous rappelle les responsabilités sacrées qui viennent avec l’exercice de cet art délicat. Dans cet article, je vous invite à explorer l’histoire fascinante de ce serment, à en disséquer le contenu et à comprendre son impact durable sur l’éthique médicale d’hier, d’aujourd’hui et de demain.
Remontons le cours du temps jusqu’au IVe siècle avant Jésus-Christ, à l’époque où vivait Hippocrate, ce médecin légendaire de l’île de Cos, considéré comme le père de la médecine occidentale. C’est à lui que l’on attribue la rédaction du célèbre serment qui porte son nom, un texte qui allait façonner la conduite des médecins pendant des millénaires.
Selon la tradition, Hippocrate descendait d’Asclépios, le dieu grec de la médecine, fils d’Apollon. Cette ascendance mythique conférait au serment une aura quasi sacrée, plaçant les devoirs du médecin sous la protection des dieux eux-mêmes. Le serment commence d’ailleurs par une invocation à Apollon, Asclépios, Hygie (déesse de la santé) et Panacée (déesse de la guérison), témoignant de l’importance accordée à la dimension spirituelle de l’art médical dans l’Antiquité.
Le texte original du serment d’Hippocrate, transmis à travers les âges, peut se diviser en deux parties distinctes. La première concerne les devoirs de l’élève envers son maître, tandis que la seconde énumère les obligations envers les patients.
Dans l’Antiquité grecque, la médecine se transmettait de père en fils ou de maître à élève, au sein de véritables dynasties médicales. Le serment d’Hippocrate reflète cette tradition en plaçant le respect du maître au même niveau que celui dû aux parents. L’élève promet de partager ses biens avec son maître, de pourvoir à ses besoins et d’enseigner gratuitement la médecine aux enfants de celui-ci. Cette relation maître-élève, empreinte de piété filiale, témoigne de l’importance accordée à la transmission des connaissances dans une époque où les écoles de médecine n’existaient pas encore.
La seconde partie du serment énonce les principes éthiques qui doivent guider la pratique du médecin envers ses patients. Certains de ces préceptes résonnent encore aujourd’hui avec une force intemporelle :
Ces principes fondamentaux visent à établir une relation de confiance entre le médecin et son patient, basée sur le respect, la bienveillance et l’intégrité. Ils posent les bases d’une éthique médicale visant à protéger les plus vulnérables et à placer les intérêts du patient au-dessus de toute autre considération.
Bien que rédigé dans l’Antiquité grecque, le serment d’Hippocrate n’est pas resté figé dans le temps. Au contraire, il a traversé les siècles et les civilisations, s’enrichissant de nouvelles interprétations et adaptations tout en conservant son essence profonde.
Avec l’avènement du monothéisme, les principes hippocratiques ont dû s’accorder avec les préceptes des religions juive et chrétienne. Les médecins juifs et chrétiens ont embrassé le naturalisme d’Hippocrate, considérant la nature comme une œuvre divine soumise à des règles accessibles à la raison humaine.
Des textes tels que le Talmud et les écrits des Pères de l’Église ont intégré les valeurs hippocratiques, comme le respect de la vie, l’interdiction du meurtre et de l’avortement, tout en les adaptant aux croyances monothéistes. Des serments médicaux inspirés d’Hippocrate, comme le serment d’Assaf ou celui attribué à Maïmonide, ont vu le jour, remplaçant les invocations aux dieux païens par une référence au Dieu unique.
L’islam, quant à lui, a accueilli les principes hippocratiques avec une grande ouverture d’esprit. Les médecins musulmans cultivés ont étudié les écrits d’Hippocrate et de Galien, les considérant comme des modèles de sagesse et de vertu. Des auteurs comme Ruhawi ont produit des traités d’éthique médicale s’inspirant à la fois de la philosophie grecque et des valeurs coraniques, telles que la piété, la miséricorde et l’humilité face à Dieu.
Dans le monde arabe, Hippocrate a acquis un statut quasi mythique, celui du médecin-modèle, ferme dans ses principes moraux et résistant aux tentations de la corruption. Son serment a été adapté pour supprimer les références aux divinités païennes, tout en conservant l’essentiel de son message éthique.
À partir de la Renaissance, le serment d’Hippocrate a connu un regain d’intérêt dans le monde occidental. Les premières versions imprimées du texte grec original ont circulé, donnant naissance à de nombreuses traductions et adaptations dans différentes langues.
Cependant, avec l’avènement de la médecine moderne et l’essor des universités, le besoin s’est fait sentir d’encadrer la profession médicale par des codes de déontologie plus précis et adaptés aux réalités contemporaines. C’est ainsi que des auteurs comme Thomas Percival en Angleterre ou M. Simon en France ont rédigé les premiers codes d’éthique médicale modernes, tout en puisant leur inspiration dans le serment d’Hippocrate.
Aujourd’hui, bien que le serment d’Hippocrate ne soit plus considéré comme juridiquement contraignant, il demeure un rite symbolique fort, célébré lors de la remise des diplômes dans de nombreuses facultés de médecine à travers le monde. Sa récitation solennelle rappelle aux nouveaux praticiens les valeurs fondamentales de leur noble profession, valeurs qui restent ancrées dans les codes de déontologie actuels.
Au-delà de son aspect historique et symbolique, le serment d’Hippocrate a eu un impact durable sur la façon dont nous concevons l’éthique médicale aujourd’hui. Ses principes essentiels ont irrigué les codes de déontologie modernes et continuent d’influencer la pratique quotidienne des médecins.
La maxime hippocratique « Je conseillerai aux malades le régime de vie capable de les soulager et j’écarterai d’eux tout ce qui peut leur être contraire ou nuisible » résonne encore avec force dans notre éthique médicale contemporaine. Le bien-être du patient, dans toutes ses dimensions physiques, mentales et sociales, doit demeurer la préoccupation première du médecin.
Cette priorité se traduit par l’obligation de prodiguer des soins attentifs, bienveillants et adaptés aux besoins spécifiques de chaque patient. Elle implique également de respecter l’autonomie du patient, de l’informer pleinement sur son état de santé et les options thérapeutiques disponibles, afin qu’il puisse prendre des décisions éclairées concernant sa santé.
L’interdiction hippocratique de remettre du poison ou des substances abortives aux patients reflète un principe fondamental de l’éthique médicale : le refus de nuire intentionnellement à la vie humaine. Ce précepte trouve encore un écho puissant dans les codes de déontologie actuels, qui proscrivent toute forme d’euthanasie active ou d’avortement non justifié médicalement.
Cependant, ce principe doit être nuancé à la lumière des avancées médicales et des évolutions sociétales. Ainsi, dans certains pays, l’euthanasie ou l’avortement sont encadrés par la loi dans des conditions très strictes, ouvrant un débat complexe sur les limites du « refus de nuire » face aux notions d’autonomie du patient et de qualité de vie.
Le secret médical, si fermement défendu par Hippocrate, reste aujourd’hui un pilier incontournable de la relation de confiance entre le médecin et son patient. La confidentialité des informations concernant la santé du patient est protégée par les lois et les codes de déontologie, garantissant le respect de son intimité et de sa vie privée.
Néanmoins, cette confidentialité n’est pas absolue et peut connaître des exceptions, comme lorsque la santé ou la sécurité d’autrui est en jeu. Les médecins doivent alors naviguer avec discernement entre leur devoir de confidentialité et leurs obligations légales et éthiques envers la société.
L’exhortation hippocratique à exercer la médecine « dans la pureté et le respect des lois » et à s’interdire « toute cause de tort ou de corruption » résonne encore avec force de nos jours. L’intégrité et la probité du médecin sont des valeurs cardinales, garantes de la confiance que lui accorde le public.
Les codes de déontologie modernes insistent sur la nécessité d’éviter tout conflit d’intérêts, toute forme de corruption ou d’abus d’influence pouvant entacher l’indépendance du jugement médical. Ils encadrent également les relations entre les médecins et l’industrie pharmaceutique, afin de préserver l’objectivité des prescriptions et des recommandations thérapeutiques.
Si les principes fondamentaux du serment d’Hippocrate demeurent d’une brûlante actualité, leur application dans le contexte médical contemporain soulève de nouveaux défis éthiques complexes. Les progrès scientifiques et technologiques, les évolutions sociétales et les enjeux économiques et politiques obligent à repenser constamment l’éthique médicale à l’aune de ces réalités mouvantes.
Les avancées fulgurantes des biotechnologies, de la génétique, de l’intelligence artificielle et de la médecine régénérative ouvrent des perspectives thérapeutiques révolutionnaires, mais soulèvent également de nombreuses interrogations éthiques. Comment concilier le bien-être du patient avec les risques potentiels de ces technologies émergentes ? Quelle place accorder à l’autonomie du patient face à des traitements expérimentaux prometteurs mais incertains ?
Le serment d’Hippocrate, dans sa formulation originale, ne peut apporter de réponses définitives à ces questions inédites. Cependant, ses principes fondamentaux, comme la priorité accordée au bien-être du patient et le refus de nuire, peuvent servir de boussole morale pour guider les réflexions et les décisions dans ce domaine en constante évolution.
Dans un monde où les ressources en soins de santé sont limitées et inégalement réparties, les médecins se trouvent souvent confrontés à des dilemmes éthiques douloureux. Comment répartir équitablement les ressources rares, comme les organes à greffer ou les traitements onéreux, entre les patients éligibles ? Faut-il privilégier certains critères, comme l’âge, le pronostic ou le statut socio-économique, au risque d’enfreindre le principe d’équité cher à Hippocrate ?
Si le serment ne fournit pas de réponses toutes faites, il rappelle l’impératif moral de traiter tous les patients avec la même considération, sans discrimination fondée sur « l’âge, la maladie ou l’infirmité, la croyance, l’origine ethnique, le genre, la nationalité, l’affiliation politique, la race, l’orientation sexuelle ou le statut social ».