Je suis souvent confronté à de nombreuses idées reçues concernant le droit de grève des fonctionnaires. L’une des plus tenaces est celle selon laquelle les agents de la fonction publique continueraient à percevoir leur salaire même lorsqu’ils sont en grève. Cette croyance est largement répandue, alimentée par des commentaires virulents sur les réseaux sociaux et des déclarations politiques accusant les fonctionnaires d’être des « privilégiés ». Cependant, la réalité est tout autre, et il est temps de démystifier cette idée reçue une fois pour toutes.

La grève, un droit constitutionnel encadré

Avant d’aborder la question de la rémunération pendant les grèves, il est important de comprendre le cadre réglementaire dans lequel s’inscrit ce droit fondamental. Le droit de grève des agents publics est reconnu par le préambule de la Constitution de 1946, qui stipule qu’il « s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent ». Autrement dit, le droit de grève n’est pas absolu et fait l’objet de certaines limitations et conditions.

Tout d’abord, pour qu’un mouvement soit qualifié de « grève » au sens juridique du terme, trois conditions doivent être réunies :

  1. Une cessation collective et concertée du travail
  2. Des revendications professionnelles
  3. Une concertation des agents

Il est donc primordial de distinguer une grève d’autres formes d’actions comme les grèves perlées (arrêts de travail courts et répétés) ou les grèves du zèle (ralentissement concerté de l’exécution des tâches), qui sont explicitement interdites dans la fonction publique et peuvent donner lieu à des sanctions disciplinaires.

Le droit de grève, un droit encadré selon les fonctions

Au-delà de ces conditions générales, le droit de grève fait l’objet de limitations spécifiques selon les fonctions exercées par les agents publics. En effet, certaines catégories de personnels n’ont pas le droit de faire grève en raison de l’obligation d’assurer la continuité du service public. C’est le cas notamment :

  • Des fonctionnaires actifs de la police nationale
  • Des magistrats judiciaires
  • Des militaires
  • Des agents déconcentrés de l’administration pénitentiaire
  • Des personnels des transmissions du ministère de l’Intérieur

De plus, dans certains services jugés essentiels, un service minimum doit être assuré pendant les mouvements de grève. C’est le cas, par exemple, dans les services de la navigation aérienne, à Météo France, dans les écoles maternelles et élémentaires, ou encore dans les établissements hospitaliers.

Le préavis de grève, une condition obligatoire

Outre ces limitations, le droit de grève des fonctionnaires est également encadré par l’obligation de déposer un préavis avant le déclenchement de tout mouvement. Ce préavis, qui doit émaner d’une ou plusieurs organisations syndicales représentatives, a pour but d’informer l’administration employeur des motifs du recours à la grève, de son champ géographique, de son heure de début et de sa durée (limitée ou non).

Le délai de préavis varie selon les versants de la fonction publique :

  • Dans la fonction publique d’État, le préavis doit parvenir 5 jours francs avant le début de la grève.
  • Dans la fonction publique territoriale, le préavis est également obligatoire, sauf pour les communes de moins de 10 000 habitants.
  • Dans la fonction publique hospitalière, le préavis est systématiquement requis.

Durant la période couverte par le préavis, les organisations syndicales et l’administration employeur doivent engager des négociations afin de tenter de résoudre le conflit. Si cette obligation de préavis n’est pas respectée, l’administration peut prendre des sanctions disciplinaires à l’encontre des agents grévistes.

Les conséquences financières de la grève

C’est au cœur de cette réglementation encadrant le droit de grève que se situe la question de la rémunération des fonctionnaires pendant les périodes de cessation du travail. Contrairement à l’idée reçue, les agents publics ne sont pas payés lorsqu’ils font grève. Au contraire, leur rémunération fait l’objet d’une retenue proportionnelle à la durée de la grève.

Cependant, les modalités de calcul de cette retenue diffèrent selon le versant de la fonction publique auquel appartient l’agent gréviste :

Versant de la fonction publique Modalités de calcul de la retenue
Fonction publique d’État
  • Principe du « trentième indivisible » : chaque jour de grève, quelle que soit sa durée, entraîne une retenue de 1/30e de la rémunération mensuelle totale (traitement, primes, indemnités, etc.)
  • Exemple : si un agent fait grève du vendredi au lundi inclus, il subira une retenue de 4/30e de sa rémunération, même s’il ne travaille pas le week-end.
Fonction publique territoriale et hospitalière
  • Retenue proportionnelle à la durée de la grève :
  • 1/30e pour une journée d’absence
  • 1/60e pour une demi-journée d’absence
  • 1/151,67e par heure d’absence

Il est important de noter que cette retenue s’applique sur l’ensemble de la rémunération, y compris les primes et indemnités, à l’exception du supplément familial de traitement. De plus, elle ne doit pas dépasser la quotité saisissable de la rémunération, c’est-à-dire la partie du salaire qui peut être saisie en cas de dettes.

Au-delà de ces aspects purement financiers, il convient de souligner que les jours de grève non rémunérés ne sont pas non plus cotisés pour la retraite. Cela peut avoir un impact non négligeable sur le calcul des droits à pension, notamment pour les agents de la fonction publique territoriale et hospitalière qui relèvent du régime de la Caisse Nationale de Retraites des Agents des Collectivités Locales (CNRACL). Dans ce cas, chaque jour de grève doit être rattrapé en fin de carrière pour ne pas pénaliser le montant de la pension de retraite.

Les raisons historiques de la différence de traitement

Face à cette disparité de traitement entre les différents versants de la fonction publique, on peut légitimement s’interroger sur les raisons qui ont conduit à l’instauration du principe du « trentième indivisible » pour les agents de l’État. Cette règle, qui peut sembler sévère, trouve son origine dans un amendement déposé en 1987 par le député Alain Lamassoure, alors que le pays traversait une période de conflits sociaux importants, notamment dans les transports aériens.

L’objectif affiché de cet amendement était de limiter le droit de grève dans la fonction publique d’État. Adopté par le Parlement, il a conduit à l’instauration du système du « trentième indivisible » pour tous les agents et salariés du secteur public. Cependant, le Conseil constitutionnel, saisi par des députés socialistes, a estimé que cette mesure portait « une atteinte injustifiée à l’exercice du droit de grève » en raison de son champ d’application trop large, ne tenant compte ni de la nature des services concernés, ni de l’incidence dommageable des cessations concertées de travail.

C’est ainsi que la règle comptable du « trentième indivisible » a finalement été maintenue pour les seuls agents de la fonction publique d’État, laissant les agents territoriaux et hospitaliers soumis à une retenue proportionnelle à la durée de la grève.

Une différence de traitement remise en cause

Si cette différence de traitement entre les versants de la fonction publique peut trouver une explication historique, elle n’en demeure pas moins sujette à controverses. En effet, le 14 février 2023, le Comité européen des droits sociaux (CEDS), organe du Conseil de l’Europe chargé de veiller au respect de la Charte sociale européenne, a estimé que la règle du « trentième indivisible » constituait « une restriction d’un droit fondamental », à savoir le droit de grève.

Bien que cette décision n’ait qu’une valeur symbolique et ne puisse s’imposer directement au gouvernement français, elle ouvre la voie à une remise en cause de cette disparité de traitement. De nombreuses organisations syndicales, à l’instar de la CFDT Fonction publique, appellent désormais à un rétablissement de l’équité entre tous les agents, quel que soit leur versant d’appartenance.

Cette revendication pourrait trouver un écho favorable dans le cadre du prochain agenda social de la fonction publique, qui devrait comporter, à la demande de la CFDT, un chapitre consacré au dialogue social. L’objectif serait d’engager un dialogue constructif et loyal avec les employeurs publics afin de parvenir à une harmonisation des règles encadrant le droit de grève et ses conséquences financières.

Au-delà des aspects financiers, un droit fondamental à préserver

Au-delà des aspects purement financiers et réglementaires, il est essentiel de rappeler que le droit de grève des fonctionnaires est un droit constitutionnel fondamental, inscrit dans le préambule de la Constitution de 1946. Bien qu’encadré par la loi, ce droit doit être préservé et exercé dans le respect des règles en vigueur.

Loin d’être un « privilège », comme certains aiment à le présenter, le droit de grève est un outil démocratique permettant aux agents publics de défendre leurs intérêts professionnels et de faire entendre leurs revendications. Il participe au dialogue social et au bon fonctionnement de la démocratie dans le secteur public.

Cependant, l’exercice de ce droit ne doit pas se faire au détriment de la continuité du service public et des besoins essentiels de la population. C’est pourquoi les limitations prévues par la loi, telles que l’obligation d’assurer un service minimum dans certains secteurs stratégiques, sont primordiales pour garantir un équilibre entre le droit de grève et la préservation de l’intérêt général.

Vers une meilleure compréhension du droit de grève dans la fonction publique

En définitive, l’idée selon laquelle les fonctionnaires seraient payés pendant les grèves relève du mythe et de la méconnaissance des réalités réglementaires. Bien que certaines disparités existent, notamment en matière de calcul des retenues sur rémunération, il est clair que tout agent public en grève subit une baisse de ses revenus proportionnelle à la durée de son mouvement.

Au-delà de cette question financière, il est essentiel de promouvoir une meilleure compréhension du droit de grève dans la fonction publique, de son encadrement légal et de son rôle dans le dialogue social. Loin d’être un « privilège », ce droit fondamental doit être préservé tout en assurant un équilibre avec la continuité du service public et les besoins de la population.

C’est à travers un dialogue constructif et une information objective que nous pourrons sortir des idées reçues et des polémiques stériles pour aborder sereinement cette question complexe, dans le respect des principes démocratiques et de l’intérêt général.

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