Je vais aborder cette question délicate et complexe du Concordat en Alsace-Moselle, de ses origines et de ses spécificités actuelles. C’est un sujet qui soulève souvent des débats passionnés, des malentendus et des idées reçues.
Qu’est-ce que le Concordat ?
Le Concordat est un accord passé entre le gouvernement français et le Saint-Siège en 1801, sous le Consulat de Napoléon Bonaparte. Il régit les rapports entre l’État et l’Église catholique en France. Mais qu’en est-il en Alsace-Moselle ? Cette région frontalière a connu une histoire mouvementée, passant de la France à l’Allemagne, et inversement, à plusieurs reprises. Et c’est précisément cette situation particulière qui explique le régime concordataire spécifique qui s’y applique aujourd’hui.
L’annexion allemande de 1871
En 1871, à l’issue de la guerre franco-prussienne, l’Alsace (à l’exception du Territoire de Belfort) et une partie de la Lorraine sont annexées par l’Empire allemand. Ce « Reichsland d’Alsace-Lorraine » fait alors partie intégrante du Reich et le restera jusqu’en 1918. Pendant cette période, la législation allemande s’y applique, y compris en matière religieuse.
Mais attention, ce n’est pas l’Allemagne qui a « importé » le Concordat en Alsace-Moselle. C’est une idée reçue très répandue mais erronée. En réalité, le Concordat napoléonien de 1801 était déjà en vigueur dans ces territoires avant même l’annexion. La France n’avait pas aboli ce régime concordataire lors de la loi de séparation des Églises et de l’État de 1905, puisque l’Alsace-Lorraine faisait alors partie de l’Empire allemand.
Le retour à la France en 1918
Après la Première Guerre mondiale, l’Alsace-Lorraine est rendue à la France par le Traité de Versailles en 1919. Se pose alors la question de l’application dans ces territoires du régime de séparation des Églises et de l’État désormais en vigueur dans le reste du pays. Le gouvernement français, par souci de faciliter la réintégration de l’Alsace-Moselle, décide dans un premier temps de maintenir le droit local existant, dont le régime concordataire fait partie.
Cette situation provisoire devait être réévaluée par la suite. Mais en 1924, le projet du cartel des gauches d’étendre la loi de 1905 à l’Alsace-Moselle se heurte à une vive opposition locale. Un avis du Conseil d’État confirme alors que « le régime concordataire, tel qu’il résulte de la loi du 18 germinal an X, est toujours en vigueur » dans ces départements. Le statu quo est donc maintenu.
Un régime juridique complexe
Aujourd’hui encore, en 2024, le régime concordataire demeure en vigueur en Alsace-Moselle. Quatre cultes sont officiellement reconnus : catholique, luthérien, calviniste et israélite. Mais d’autres religions comme l’islam ne bénéficient pas de ce statut particulier. C’est donc un système complexe, où se mêlent législations française, allemande, principes napoléoniens et traditions locales séculaires.
Concrètement, ce régime se traduit par plusieurs spécificités :
- Les ministres des cultes reconnus sont nommés et rémunérés par l’État.
- Les collectivités locales prennent en charge une partie du financement des édifices religieux.
- Un enseignement religieux confessionnel est dispensé dans les écoles publiques, en parallèle d’un enseignement général laïc.
- L’Université de Strasbourg compte des facultés de théologie catholique et protestante, qui délivrent des diplômes d’État.
Ce statut juridique particulier fait l’objet de nombreux débats, entre ses défenseurs qui y voient la reconnaissance de l’identité régionale, et ses détracteurs qui dénoncent une entorse à la laïcité. La question de l’intégration des cultes plus récents comme l’islam est aussi régulièrement soulevée.
Les racines historiques d’un compromis
Au final, si le Concordat appliqué en Alsace-Moselle trouve bien ses origines juridiques dans les accords signés avec le Saint-Siège sous Napoléon, son maintien suite aux soubresauts de l’Histoire est d’abord un compromis politique. En 1918, les autorités ont préféré temporiser plutôt que d’imposer brutalement la loi de 1905, pour faciliter la réintégration de ces territoires après un demi-siècle d’annexion allemande.
Ce régime concordataire déroge certes aux principes stricts de laïcité en vigueur dans le reste de la France. Mais il reflète aussi l’identité complexe, multiculturelle et frontalière de l’Alsace-Moselle, région charnière entre sphères d’influences françaises et germaniques. Un régime trop rigide aurait pu être mal accepté par des populations déjà bousculées par les tourments de l’Histoire.
Qu’on l’approuve ou non, force est de constater que ce compromis perdure depuis plus d’un siècle. Les Alsaciens et les Mosellans ont fait de ce régime concordataire atypique une de leurs spécificités identitaires, dans le riche creuset multiculturel qu’est leur terre frontalière. Allemand dans ses racines juridiques, certes, mais foncièrement local dans son essence et son application.