Qui n’a jamais été persuadé d’avoir vécu un événement qui en réalité n’a jamais eu lieu ? Ou d’avoir des souvenirs très précis d’une situation alors qu’un proche affirme que les choses se sont déroulées différemment ? Bienvenue dans le monde fascinant et parfois déroutant des faux souvenirs.

Faux souvenirs, également connus sous les noms d' »illusions mnésiques » ou de « pseudos-mémoires », sont des réminiscences d’événements qui déforment la réalité en incluant des interprétations et des éléments fictifs. Dans les situations les plus graves, ces souvenirs peuvent être complètement fabriqués, décrivant des expériences qui n’ont jamais eu lieu.

Ce phénomène psychologique très répandu peut survenir chez n’importe qui et à tout âge. Les experts estiment que nous avons tous expérimenté des faux souvenirs à un moment de notre vie, même si nous avons une très bonne mémoire. Mais alors, pourquoi notre mémoire nous trahit-elle ainsi ?

Pour comprendre ce mystère, plongeons dans les méandres du fonctionnement cérébral et découvrons les mécanismes à l’origine des faux souvenirs. Nous verrons également comment les reconnaître et quelles précautions adopter pour s’en prémunir au maximum. Suivez le guide !

Les faux souvenirs, un dysfonctionnement de la mémoire ?

La mémoire, un processus de reconstruction

Contrairement à une idée reçue, la mémoire n’est pas un enregistrement exact et immuable de la réalité. Se souvenir est en fait un processus actif et dynamique de reconstruction. À chaque fois que l’on se remémore un événement, on ne se contente pas de le récupérer tel quel, mais on le réassemble, on le recrée en combinant des fragments épars stockés dans notre cerveau.

C’est un peu comme reconstituer un puzzle dont certaines pièces seraient manquantes. Pour combler les trous, le cerveau fait appel à nos connaissances, nos expériences, nos a priori. Il interprète, extrapole, brode autour des éléments dont il dispose pour donner un sens et une cohérence à nos souvenirs.

Ce mécanisme de reconstruction entraîne inévitablement des approximations et des déformations. Avec le temps et les évocations successives, les souvenirs se modifient, s’enrichissent de nouveaux détails, réels ou fictifs. Certains éléments sont accentués, d’autres éludés. Au fil des années, la frontière entre la réalité vécue et le récit remanié que l’on s’en fait peut devenir de plus en plus ténue.

Les erreurs de la mémoire

Au-delà de ces distorsions « normales », il existe plusieurs types d’erreurs de la mémoire pouvant conduire à la formation de faux souvenirs. Parmi les plus fréquentes :

Les erreurs d’attribution : on se trompe sur la source ou le contexte d’une information mémorisée. Par exemple, on pense avoir vécu une scène alors qu’en réalité on nous l’a racontée ou on l’a vue dans un film.
Les erreurs de conjonction : on associe à tort plusieurs événements distincts en un seul souvenir « hybride ». On mélange ainsi des morceaux de souvenirs réels avec des éléments issus de notre imagination pour former un souvenir artificiel.
Les biais de cohérence et de plausibilité : dans sa reconstruction du passé, notre mémoire a tendance à gommer les incohérences et les bizarreries pour donner une version plus logique, plus conforme à nos attentes. On peut ainsi transformer a posteriori un événement pour coller à l’idée qu’on s’en fait.

Les faux souvenirs résultent souvent d’une combinaison de ces différents types d’erreurs. Mais si ces « bugs » de la mémoire sont assez banals et généralement sans grande conséquence, ils peuvent aussi poser problème dans certaines circonstances.

Les faux souvenirs, à l’origine de faux témoignages

La question des faux souvenirs est notamment cruciale dans le domaine judiciaire. De nombreuses études ont montré que les erreurs de mémoire et les faux souvenirs sont une cause majeure de fausses accusations et de condamnations injustifiées.

Quand les témoins se trompent

Les témoignages oculaires, s’ils restent des preuves importantes aux yeux de la justice, sont pourtant loin d’être infaillibles. Les recherches estiment qu’environ 30 % des identifications de suspects par des témoins sont erronées. Un chiffre impressionnant qui s’explique en grande partie par le phénomène des faux souvenirs.

Sous le coup de l’émotion et du stress, les témoins d’un crime ont souvent une perception tronquée et confuse de la scène. Les détails leur échappent, notamment concernant l’apparence physique et les vêtements du coupable. Pourtant, avec le temps, leur mémoire va « compléter » ces zones d’ombre avec des éléments issus de leur imagination ou de ce qu’ils pensent probable.

Par exemple, pour identifier le suspect, le témoin va se fier aux stéréotypes et aux a priori sur le type de personne susceptible à ses yeux de commettre ce délit. Ces biais peuvent ainsi conduire à accuser à tort quelqu’un dont le profil correspond à l’idée préconçue du coupable.

Les faux souvenirs chez les témoins peuvent aussi être provoqués par les techniques d’interrogatoire. Des questions suggestives, des relances insistantes, des reformulations, peuvent amener sans le vouloir le témoin à modifier son récit et à se persuader de détails qui n’existent pas. Surtout quand l’entretien a lieu longtemps après les faits.

Les aveux extorqués

Les suspects eux aussi peuvent être victimes d’illusions de mémoire lors des interrogatoires. Il arrive ainsi que des innocents finissent par avouer un crime… qu’ils n’ont pas commis !

Soumis à la pression des enquêteurs, à un stress intense, privés de sommeil, certains suspects en viennent à intégrer les éléments à charge, à se persuader de leur culpabilité et à produire de faux souvenirs. Une technique brutale à l’efficacité redoutable : selon une étude américaine, 30 % des personnes à qui l’on fait croire qu’elles ont commis un méfait pendant leur jeunesse finissent par s’en souvenir avec force détails… alors qu’il ne s’est jamais produit !

Face à ces constats inquiétants, psychologues et associations multiplient les mises en garde sur l’utilisation des témoignages. Ils plaident pour une plus grande prudence des tribunaux et un encadrement plus strict des procédures d’interrogatoires. L’enjeu : trouver le juste équilibre entre la prise en compte de la parole des témoins et des victimes et la conscience des pièges de la mémoire.

Les causes principales des faux souvenirs

Les faux souvenirs ne sont pas le signe d’un esprit défaillant ou d’un trouble mental. Ils apparaissent en réalité dans de nombreuses circonstances de la vie courante. Petit tour d’horizon des principaux facteurs favorisant leur émergence.

L’influence du temps qui passe

Plus un souvenir est ancien, plus il a de risques d’avoir été déformé et transformé. Avec les années, les détails s’estompent, le contexte s’efface. Notre mémoire tend alors à combler les vides avec des éléments issus d’autres souvenirs ou de notre imaginaire. Ce qui était au départ un souvenir précis devient de plus en plus flou et sujet à caution.

Ce processus d’érosion et de reconstruction est accentué à chaque remémoration. À force d’être raconté, un souvenir se modifie au fil des versions successives. On en vient à se souvenir davantage du récit romancé que l’on fait de l’événement que de l’événement lui-même.

Le piège des questions suggestives

Comme évoqué précédemment pour les interrogatoires, la manière dont les questions sur un souvenir sont formulées influence grandement les réponses obtenues. Une question orientée, une information erronée glissée comme une évidence, suffisent parfois à implanter de faux éléments dans la mémoire.

Par exemple, demander à un enfant s’il avait peur du gros chien alors qu’il n’y avait pas de chien peut l’amener ensuite à se rappeler de cet animal imaginaire. De même, évoquer des détails fictifs sur les circonstances d’un accident peut convaincre un témoin qu’il les a vécus.

Ce pouvoir de la suggestion, appelé « effet de désinformation », est à l’œuvre dans de nombreuses situations : lors de discussions, en répondant à des sondages, en visionnant des images truquées… Sans s’en rendre compte, on intègre des éléments extérieurs à nos propres souvenirs.

L’impact des émotions

Les souvenirs chargés émotionnellement, qu’ils soient positifs ou négatifs, sont paradoxalement les plus susceptibles d’être déformés avec le temps. Parce qu’ils nous marquent intensément, on a tendance à se les remémorer souvent et à les partager. Mais à chaque évocation, le souvenir se remodèle en fonction de notre humeur et des réactions de notre interlocuteur.

Un souvenir joyeux raconté alors qu’on est d’humeur sombre va ainsi être teinté de cette tristesse et perdre de son éclat dans notre mémoire. Un souvenir difficile évoqué dans un contexte bienveillant, avec une personne compatissante, peut a contrario s’adoucir et se transformer.

Les émotions ressenties au moment de la restitution d’un souvenir influencent donc le contenu mémorisé. C’est pourquoi, on considère que les personnes dépressives ou anxieuses sont plus à risque de développer des faux souvenirs présentant leur passé sous un angle négatif.

️ Comment reconnaître un faux souvenir ?

Vous avez un doute sur l’un de vos souvenirs ? Vous vous demandez s’il s’agit d’un fait réel ou d’une création de votre esprit ? Voici quelques indices pour y voir plus clair.

Vérifiez les éléments factuels

La première chose à faire est d’essayer de recouper votre souvenir avec des éléments objectifs. Avez-vous des preuves tangibles de cet événement : photos, vidéos, documents, témoins fiables ? L’absence totale de traces peut être un signe qu’il s’agit d’un faux souvenir, surtout s’il est ancien.

Méfiez-vous cependant, la présence d’une photo ne garantit pas l’exactitude du souvenir. Il est fréquent de se rappeler davantage de l’image que l’on a vue de nombreuses fois que du moment vécu. Les albums photos de notre enfance peuvent ainsi devenir la trame de faux souvenirs.

Analysez la précision et la cohérence du récit

Un vrai souvenir est en général assez détaillé et précis. On se rappelle du lieu, du moment, des personnes présentes, de petits détails visuels, sonores, olfactifs ou émotionnels. Un faux souvenir a lui tendance à être plus flou, avec des zones d’ombre, des incohérences, des changements d’une évocation à l’autre.

Si à chaque fois que vous racontez ce souvenir, des éléments importants varient (la saison, votre âge, l’endroit, l’identité d’un personnage clé…), c’est un indice d’une probable reconstruction. De même si vous avez du mal à le resituer précisément dans le temps et l’espace, contrairement à d’autres souvenirs de la même période.

Attention, un récit très détaillé n’est pas pour autant une preuve absolue de véracité, surtout s’il a été maintes fois répété. Il peut s’agir d’un faux souvenir qui s’est enrichi et précisé au fil du temps par un mécanisme d’illusion de mémoire.

Fiez-vous à votre ressenti

Votre intuition est souvent un bon guide. Un vrai souvenir déclenche en général un sentiment de certitude, de « déjà vécu ». C’est comme si vous y étiez. À l’inverse, un faux souvenir a un côté plus distant, impersonnel. Vous avez l’impression de connaître les faits mais sans les avoir réellement vécus de l’intérieur.

La remémoration d’un faux souvenir s’accompagne aussi fréquemment d’un sentiment de doute, de flottement. Comme une petite voix intérieure qui vous souffle « ce n’est pas tout à fait ça ». N’hésitez pas à écouter et explorer ce doute. Votre inconscient cherche peut-être à vous alerter sur une incohérence.

Comment éviter les faux souvenirs ?

S’il est impossible de se prémunir totalement contre les faux souvenirs, on peut néanmoins limiter les risques en adoptant quelques bonnes pratiques :

Tenez un journal. Le fait de noter rapidement vos souvenirs marquants vous aidera plus tard à faire la part des choses entre la réalité et les déformations.
Recoupez vos souvenirs avec des sources externes. Parlez-en à vos proches, fouillez vos archives… N’hésitez pas à confronter vos souvenirs pour vérifier leur exactitude.
Soyez attentif à la façon dont vos souvenirs évoluent. En les évoquant régulièrement, observez s’ils se modifient avec le temps. Méfiez-vous des récits trop romancés ou stéréotypés !

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