Lorsque l’on évoque le célèbre prix Nobel, une légende tenace revient régulièrement sur le tapis : Alfred Nobel aurait exclu les mathématiques de son prestigieux prix car sa femme l’aurait trompé avec un mathématicien. Cette sombre histoire de jalousie et de vengeance aurait ainsi privé les mathématiques du rayonnement et de la reconnaissance offerts par un prix Nobel. Toutefois, en explorant les faits historiques et en examinant attentivement les sources disponibles, une toute autre vérité émerge, reléguant cette légende au rang de simple mythe infondé.

Retracer les origines de la légende

Avant d’entrer dans le vif du sujet, il convient de comprendre d’où provient cette légende qui a traversé les époques. L’une des premières mentions écrites de cette histoire remonte aux années 1980, lorsque les mathématiciens suédois Lars Gårding et Lars Hörmander ont publié un article intitulé « Pourquoi n’y a-t-il pas de prix Nobel de mathématiques ? ». Dans cet article, ils abordent et réfutent explicitement cette légende selon laquelle la femme d’Alfred Nobel l’aurait trompé avec un mathématicien renommé, Gösta Mittag-Leffler.

Cependant, comme nous le verrons, cette légende ne repose sur aucun fondement solide. En réalité, Alfred Nobel n’a jamais été marié, il n’avait donc pas d’épouse pour le tromper. De plus, rien n’indique qu’il ait nourri une quelconque animosité envers les mathématiques ou les mathématiciens en général.

La vie d’Alfred Nobel : faits et réalités

Pour comprendre pourquoi cette légende est infondée, il est essentiel d’examiner la vie d’Alfred Nobel lui-même. Né en 1833 à Stockholm, en Suède, Nobel était un inventeur, un ingénieur et un industriel de renom. Il est surtout connu pour avoir inventé la dynamite, une découverte qui lui a valu une immense fortune et une renommée internationale.

Bien que célibataire toute sa vie, Nobel a entretenu une relation de longue date avec une Viennoise nommée Sophie Hess, qu’il a rencontrée lorsqu’elle avait 20 ans et lui 42. Cependant, rien dans les archives ou les biographies ne suggère que Sophie l’ait trompé avec un mathématicien ou que Nobel ait nourri une quelconque rancune envers les mathématiques en raison d’une trahison amoureuse.

Au contraire, Nobel avait une grande estime pour les sciences et les mathématiques en particulier. Dans son testament rédigé en 1895, il a prévu la création de prix destinés à récompenser « ceux qui auront rendu les plus grands services à l’humanité » dans les domaines de la physique, de la chimie, de la physiologie ou de la médecine, de la littérature et de la paix.

Les raisons possibles de l’absence d’un prix Nobel de mathématiques

Si la légende de la trahison amoureuse peut être écartée, il reste néanmoins à comprendre pourquoi Nobel n’a pas inclus les mathématiques dans sa liste de domaines à récompenser. Plusieurs hypothèses ont été avancées par les historiens et les spécialistes :

  1. L’existence d’un autre prix prestigieux en mathématiquesÀ l’époque d’Alfred Nobel, un prix prestigieux en mathématiques existait déjà en Suède : le Prix du Roi Oscar II. Il est donc possible que Nobel ait estimé qu’un autre prix n’était pas nécessaire dans ce domaine.
  2. Une vision utilitariste des sciencesEn tant qu’inventeur et industriel, Nobel avait une vision très pragmatique et utilitariste des sciences. Il souhaitait récompenser les découvertes ayant un impact direct et concret sur le bien-être de l’humanité. Or, les mathématiques étaient considérées comme une discipline abstraite, sans application immédiate dans la vie quotidienne.
  3. Une méconnaissance des avancées récentes en mathématiquesCertains historiens suggèrent qu’Alfred Nobel, n’étant pas lui-même mathématicien, n’avait peut-être pas pleinement conscience des progrès et des découvertes révolutionnaires qui se produisaient dans ce domaine à son époque.

Quoi qu’il en soit, il est clair qu’aucune raison liée à une supposée trahison amoureuse n’a motivé cette exclusion des mathématiques. Nobel n’a tout simplement pas jugé nécessaire d’inclure cette discipline dans son testament, probablement en raison de considérations d’ordre pratique ou philosophique.

Reconnaissance et récompenses en mathématiques aujourd’hui

Bien que les mathématiques n’aient pas leur propre prix Nobel, la communauté scientifique a depuis longtemps comblé ce vide en créant des récompenses prestigieuses dédiées à cette discipline. La plus connue est sans doute la médaille Fields, considérée comme le « prix Nobel des mathématiques ».

Instituée en 1936 par le mathématicien canadien John Charles Fields, cette médaille est remise tous les quatre ans à un maximum de quatre chercheurs de moins de 40 ans ayant apporté des contributions exceptionnelles aux mathématiques. Elle est décernée lors du Congrès international des mathématiciens, l’événement le plus important de la discipline.

Parmi les lauréats français de la médaille Fields, on peut citer Jean-Christophe Yoccoz (1994), Laurent Lafforgue (2002), Ngô Bảo Châu (2010), Artur Avila (2014) et Cédric Villani (2010). Ce dernier, mathématicien et physicien de renommée mondiale, a d’ailleurs déclaré à propos de cette récompense : « La médaille Fields, c’est notre Nobel à nous, mathématiciens. »

Outre la médaille Fields, d’autres prix prestigieux récompensent les accomplissements exceptionnels en mathématiques, tels que le prix Abel, le prix Wolf ou le prix Crafoord. Ces distinctions honorent non seulement les découvertes fondamentales, mais aussi les travaux appliqués ayant un impact sur d’autres domaines scientifiques ou technologiques.

Conclusion

En définitive, la légende selon laquelle Alfred Nobel aurait exclu les mathématiques de son prix en raison d’une trahison amoureuse n’est qu’un mythe dénué de tout fondement historique. Nobel, bien que célibataire, n’a jamais été marié et rien ne suggère qu’il ait nourri une quelconque animosité envers les mathématiques ou les mathématiciens.

Les véritables raisons de cette absence sont probablement liées à des considérations pratiques, philosophiques ou contextuelles de l’époque. Quoi qu’il en soit, les mathématiques ont depuis longtemps trouvé leur reconnaissance à travers des récompenses prestigieuses telles que la médaille Fields ou le prix Abel, qui célèbrent les avancées et les contributions exceptionnelles dans cette discipline fondamentale.

Bien que séduisante, la légende de la trahison amoureuse ne résiste pas à l’examen des faits historiques. Il est temps de la reléguer au rang de simple anecdote et de célébrer les véritables accomplissements des mathématiciens à travers les distinctions qui leur sont dédiées.

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