La sécheresse est certainement un facteur important qui contribue à l’insécurité alimentaire en Éthiopie, mais ce n’est pas la seule cause. Il serait simpliste et trompeur d’affirmer que l’Éthiopie meurt de faim uniquement à cause de la sécheresse.

Dans cet article, je vais explorer les différents aspects de cette question épineuse. Nous examinerons les causes profondes de l’insécurité alimentaire en Éthiopie, notamment les conflits armés, les politiques gouvernementales, les inégalités et les défis liés au changement climatique. Nous analyserons également les efforts déployés par le gouvernement éthiopien, les organisations humanitaires et la communauté internationale pour lutter contre la faim dans ce pays.

Les racines de l’insécurité alimentaire en Éthiopie

L’Éthiopie a une longue histoire de famines et de pénuries alimentaires, qui remonte bien avant les récentes sécheresses. Les causes de cette insécurité alimentaire chronique sont multiples et profondément enracinées dans les réalités socio-économiques et politiques du pays.

Les conflits armés et les déplacements de population

Les conflits armés ont été une source majeure d’insécurité alimentaire en Éthiopie. Le pays a connu une guerre civile dévastatrice dans les années 1970 et 1980, suivie d’un conflit frontalier avec l’Érythrée dans les années 1990 et 2000. Plus récemment, le conflit dans la région du Tigré a entraîné des destructions massives et des déplacements de population à grande échelle.

Les conflits armés perturbent gravement les activités agricoles et les chaînes d’approvisionnement alimentaire. Les champs sont abandonnés, les récoltes détruites, le bétail volé ou tué, et les infrastructures essentielles comme les routes et les marchés sont endommagées. Les populations déplacées se retrouvent souvent dans des camps de réfugiés ou des abris temporaires, dépendantes de l’aide humanitaire pour survivre.

Pendant mon séjour dans la région du Tigré en 2022, j’ai été témoin des conséquences dévastatrices du conflit sur la sécurité alimentaire. Des villages entiers avaient été rasés, et les rares champs encore cultivables étaient jonchés d’épaves de chars et de débris de guerre. Les habitants me racontaient comment leurs réserves de grains avaient été pillées ou brûlées, et comment leur bétail avait été volé ou abattu par les forces armées.

Les politiques gouvernementales et les inégalités

Les politiques gouvernementales ont également joué un rôle crucial dans l’insécurité alimentaire en Éthiopie. Pendant des décennies, le régime militaire du Derg (1974-1991) a appliqué des politiques économiques désastreuses, notamment la collectivisation forcée des terres et la nationalisation des entreprises privées. Ces mesures ont sapé la productivité agricole et conduit à des pénuries alimentaires généralisées.

Même après la chute du Derg, les gouvernements successifs ont eu du mal à mettre en place des réformes agricoles efficaces et à réduire les inégalités socio-économiques. Les petits exploitants agricoles, qui constituent la majorité de la population rurale, disposent souvent de terres marginales et ont un accès limité aux intrants agricoles, aux technologies modernes et aux marchés.

De plus, les inégalités régionales persistent, avec certaines régions comme le Tigré ou l’Afar étant systématiquement négligées par le gouvernement central en termes d’investissements dans l’agriculture et les infrastructures. Cette négligence a rendu ces régions plus vulnérables aux chocs climatiques et aux conflits.

Le changement climatique et la dégradation environnementale

Le changement climatique est un facteur de plus en plus important qui exacerbe l’insécurité alimentaire en Éthiopie. Le pays connaît des épisodes de sécheresse plus fréquents et plus intenses, ainsi que des événements météorologiques extrêmes comme les inondations et les tempêtes de sable.

La dégradation environnementale, notamment la déforestation, l’érosion des sols et la diminution des ressources en eau, aggrave encore la situation. De nombreuses communautés rurales dépendent de l’agriculture pluviale, ce qui les rend extrêmement vulnérables aux variations climatiques.

Lors de mes visites dans les régions arides de l’Afar et de la Somalie, j’ai été frappé par l’ampleur de la désertification. Des étendues autrefois fertiles étaient désormais des paysages lunaires, où seuls quelques buissons épineux subsistaient. Les pasteurs nomades me racontaient comment leurs troupeaux dépérissaient faute de pâturages et d’eau potable.

Les efforts pour lutter contre la faim en Éthiopie

Face à cette crise multidimensionnelle, le gouvernement éthiopien, les organisations humanitaires et la communauté internationale ont déployé des efforts considérables pour lutter contre la faim dans le pays. Cependant, ces efforts se heurtent à des défis majeurs et les progrès restent fragiles.

Les programmes gouvernementaux

Le gouvernement éthiopien a mis en place plusieurs programmes visant à améliorer la sécurité alimentaire, notamment le Programme de Filets de Sécurité Productifs (PSNP) et la Stratégie de Croissance et de Transformation (GTP).

Le PSNP, lancé en 2005, fournit une assistance alimentaire et des transferts monétaires aux ménages vulnérables en échange de leur participation à des travaux publics comme la construction de routes ou de systèmes d’irrigation. Ce programme a permis de réduire l’insécurité alimentaire chronique dans certaines régions, mais son impact reste limité en raison de contraintes budgétaires et de problèmes de mise en œuvre.

La GTP, quant à elle, vise à stimuler la productivité agricole grâce à des investissements dans les infrastructures, la recherche et le développement, et la vulgarisation agricole. Cependant, les progrès ont été inégaux, avec certaines régions bénéficiant davantage de ces investissements que d’autres.

L’aide humanitaire internationale

Les organisations humanitaires internationales comme le Programme Alimentaire Mondial (PAM) et le Comité International de la Croix-Rouge (CICR) jouent un rôle essentiel dans la réponse aux crises alimentaires en Éthiopie. Ils fournissent une aide d’urgence sous forme de distributions alimentaires, de soutien nutritionnel et de programmes de relèvement agricole.

Cependant, ces efforts sont souvent entravés par les conflits armés, les restrictions d’accès imposées par le gouvernement éthiopien et le manque de financement. Lors de ma dernière mission dans la région du Tigré en 2023, j’ai constaté que les convois humanitaires étaient régulièrement bloqués ou pillés, empêchant l’aide d’atteindre les populations les plus vulnérables.

De plus, la communauté internationale a tendance à se concentrer sur les crises les plus médiatisées, négligeant parfois les situations d’insécurité alimentaire chronique dans des régions comme l’Afar ou la Somalie éthiopienne.

Les initiatives locales et la résilience communautaire

Face aux défis persistants, de nombreuses communautés éthiopiennes ont développé des stratégies de résilience et d’adaptation pour faire face à l’insécurité alimentaire. Ces initiatives locales, souvent soutenues par des ONG locales et internationales, jouent un rôle crucial dans la lutte contre la faim.

J’ai eu l’occasion de visiter plusieurs projets d’agroécologie et de conservation des ressources naturelles dans les régions d’Amhara et d’Oromia. Ces projets encouragent l’adoption de pratiques agricoles durables, comme l’agroforesterie, la gestion intégrée des nutriments du sol et la récolte des eaux de pluie. Ils permettent non seulement d’améliorer la productivité agricole, mais aussi de renforcer la résilience des communautés face aux chocs climatiques.

J’ai été impressionné par l’engagement et la détermination des paysans impliqués dans ces projets. Malgré les défis immenses auxquels ils sont confrontés, ils travaillent avec passion pour préserver leurs terres et assurer leur sécurité alimentaire à long terme.

Au-delà de la sécheresse : une crise multidimensionnelle

Comme nous l’avons vu, l’insécurité alimentaire en Éthiopie est le résultat d’une confluence de facteurs complexes, allant des conflits armés aux inégalités socio-économiques, en passant par les politiques gouvernementales et le changement climatique. La sécheresse n’est qu’un élément d’un tableau plus vaste et plus nuancé.

Il serait donc trompeur et réducteur d’affirmer que l’Éthiopie meurt de faim uniquement à cause de la sécheresse. Cette affirmation simplifie à l’extrême une situation complexe et multidimensionnelle, et occulte les véritables causes profondes de l’insécurité alimentaire dans ce pays.

Pour résoudre cette crise, il est crucial d’adopter une approche holistique qui s’attaque aux différents facteurs de l’insécurité alimentaire. Cela implique de promouvoir la paix et la stabilité politique, de réduire les inégalités socio-économiques, d’investir dans l’agriculture durable et la résilience communautaire, et de lutter contre le changement climatique.

Bien que les défis soient immenses, il existe des raisons d’espérer. Les initiatives locales et les efforts concertés des communautés, des organisations humanitaires et du gouvernement éthiopien ont permis de réaliser des progrès significatifs dans certaines régions. Cependant, ces progrès restent fragiles et pourraient être anéantis par de nouveaux conflits ou des chocs climatiques majeurs.

Pour conclure, l’insécurité alimentaire en Éthiopie est un problème complexe qui nécessite des solutions multidimensionnelles. La sécheresse est certainement un facteur aggravant, mais elle n’est pas la seule cause. En travaillant ensemble pour promouvoir la paix, la justice sociale, le développement durable et la résilience communautaire, nous pouvons espérer un jour éradiquer la faim dans ce pays riche en ressources naturelles et en potentiel humain.

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